Le nomade Stellaire, d’Hector LOAIZA et la techno-utopie

On connait les sources scientifico-techniques de l’Internet (avec la cybernétique), utilitaristes (avec le complexe militaire), libertaires (avec la contre-culture des années 60) .. mais on en sait moins sur les sources spirituelles de cet Internet et du complexe technologique  qui nous entoure aujourd’hui.

 Avis sur le “Nomade stellaire”, d’Hector LOAIZA, L’Harmattan, Janvier 2018

nomade stellaire Hector LoaizaHector LOAIZA avec son livre « Le nomade stellaire », nous plonge dans un récit qui peut mettre en lumière cet apport du spirituel à l’idéologie et aux applications concrètes des technologies numériques, suppôt du transhumanisme à venir…

Son livre raconte le parcours et l’évolution du spirituel au technologique de deux personnalités, aux influences similaires (le terreau spirituel) mais aux concrétisations technologiques différentes :

ALEA fut initié dans sa jeunesse au voyage astral et la connaissance occulte d’indiens d’Arizona parmi lesquels il vécu durant des années.

XEN fut initié à la connaissance occulte en fréquentant les cercles ésotériques et intellectuels Parisiens, desquels émergea son idée fixe d’un « éternel retour » .

Le premier va investir ce savoir spirituel et ses capacités de voyage astral révélées chez les Indiens, dans la création d’une « machine pensante », à base d’informatique et d’Intelligence Artificielle, capable de retranscrire sur écran les images et rêves de son esprit en scénario visuel. Inversement, cette machine est aussi connectée à tous les « big data » du monde ce qui lui permet, guidée par l’esprit humain d’ALEA, de prédire l’avenir du monde en scénario précis…

Pour se faire ALEA va se laisser placer des capteurs cérébraux dont les informations sont transmises, traitées et mise en forme imaginale par un super-ordinateur doté de multiples « core » et agissant en language quaternaire…

Ce livre n’est pas uniquement centré sur l’univers technologique : il se déroule sur 4 continents, mettant en scène le destin parallèle de deux personnages et leurs sphères sociales d’influence. Mais du point de vue de l’anthropologie de l’Internet et de l’univers technologique contemporain, cet ouvrage soulève au moins deux terrains de discussion prolixes :

La thématique futurologique

Cette « machine pensante » du « nomade stellaire » fouille l’esprit humain et les big datas de l’Internet a des fins de prédiction du futur : ce genre de projets de « fouille du web » (web mining ou data mining) que l’on retrouve sur Internet depuis les années 2000, avec un web assimilé à une nouvelle conscience/inconscient de l’humanité connectée :

– le “Global Consciousness Project” qui tire des conclusions en fonction de l’analyse des flux de nombres aléatoires – le projet WebBot qui scanne la “conscience” (ou “l’inconscient collectif”) de l’humanité sur le Web.

Le principe du projet WEB BOT est de lancer un tas de « robots » passant le web au peigne fin. Les concepteurs ont fait le pari suivant : en faisant un balayage systématique du web, ils comptent obtenir un résumé de l’inconscient collectif, et par la même occasion, une « vision de l’avenir»

– le projet IEML  de Pierre LEVY et ses réflexions sur l’intelligence collective du web 

 Dans le complexe homme/machine décrit dans le livre « le nomade stellaire » la machine pensante va plus loin encore puisqu’elle puise une partie de son information directement dans l’esprit humain d’ALEA , cobaye volontaire de cette expérience : au-delà de la relation d’emblée transhumaniste qui se met là en place (voir la Singularité technologique de Ray KURWEIL in humanité 2.0 ) , la question des visées éthiques et politiques d’un tel attelage se pose : qu’elle concerne des buts industriels comme dans le livre dans un premier temps peut-être… mais quid de ses conséquences si elle est utilisée à des fins de pouvoirs ou de gouvernance ? Cette question avait déjà concerné les machines cybernétiques des années 50 : voir la machine à gouverner du Père Dubarle.

La question générationnelle face à la technologie

Les deux personnages principaux du livre – ALEA et XEN – représentent une génération d’individus issus du XXeme siècle à forte armature idéologique et spirituelle, alors que depuis l’an 2000 nous voyons émerger une génération appelée « millénium », « natifs du numériques », « digital natifs », née dans l’univers technologique présidant à ce transhumanisme  que l’on nous promet.

Le rapport à la technique est fondamentalement différent entre ces deux générations et une question doit se poser : les natifs du numérique vont-ils hériter leur spiritualité de la machine ? 

Dans l’ouvrage d‘Hector LOAIZA, ALEA et XEN possèdent une colonne vertébrale qui détermine leur rapport à « la machine » : la spiritualité. L’un l’a héritée d’un savoir ancestral chamanique et à choisi délibérément de l’associer à une machine futuriste ; l’autre à développé une philosophie de l’existence au travers de sa fréquentation des cercles occultistes parisiens, où la machine n’est qu’un auxiliaire d’un dessein plus vaste…

Tous deux ont cet arrière-plan culturel qui détermine leur être au monde et donc, un libre-arbitre face à la machine.

Mais quid de ces “natifs du numérique”, cette génération née après 2000 dans l’univers de l’Internet de masse puis grandie dans l’Internet ambiant des objets connectés et qui va devenir adulte, citoyenne du monde et active à l’aube des promesses du transhumanisme ? Là où XEN et ALEA sont au-dessus ou en-dessous de la technique – pour reprendre un peu de la terminologie de SIMONDON – eux sont d’emblée dans la matrice technologique …Ce qui est un bienfait pour le sociologue-ingénieur selon Simondon, l’est-il pour le simple citoyen du monde ?

Déjà, aux premiers pas de l’Internet de masse des analystes avaient attiré l’attention sur la « religiosité » tirée de l’univers technologique :

– le sociologue Philippe BRETON – analyste critique du devenir cybernétique de nos sociétés avec l’utopie de la communication   – identifiait dès 2001 comme la montée d’un nouveau « culte », d’une nouvelle religiosité, celle d’Internet..

– De son côté Nicolas CARR, journaliste américain spécialiste du web, désignait ce qui ressemblait à un esprit « New Age » dans l’avènement du fameux Web 2.0 en 2006 (voir : « The amorality of Web 2.0 »).

Un questionnement est nécessaire sur ce basculement fondamental dans la façon « d’être au monde » aujourd’hui que porte cette génération née dans l’univers numérique par rapport à l’homme du XXeme siècle : dans les années 50, un chercheur, inventeur du terme « cybernétique » avait commencé à mener cette réflexion, il s’appelait Norbert WIENER (« god and Golem  »)

« Le nomade stellaire » d’Hector LOAIZA est un ouvrage d’intérêt pour les chercheurs et enseignants en contact avec l’univers étendu d’Internet et les générations millenium, natives du numériques ou digital natives comme on les appelle encore…

le nomade Stellaire,

Hector LOAIZA,

L’harmattan, Décembre 2017

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=58727

Originally posted 2018-02-23 18:08:21.

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